L’organisation fraternelle noire hondurienne honorée par le prix de la souveraineté alimentaire | Développement et Paix

L’organisation fraternelle noire hondurienne honorée par le prix de la souveraineté alimentaire

26 octobre 2015
par 
Khoudia Ndiaye, agente de communications

En 2015, le prix de la souveraineté alimentaire a été décerné à l’organisation fraternelle noire hondurienne (Ofraneh), une fédération d’organisations de défense des droits politiques, culturels et territoriaux du peuple Garifuna. Il s’agit principalement d’agriculteurs et de pêcheurs parmi les plus pauvres du Honduras et qui sont constamment victimes de discrimination, de marginalisation et de racisme. Malgré les efforts entrepris pour défendre leurs terres, leur eau, leur agriculture et leur mode de vie, ils sont régulièrement expulsés de leurs terres par des investisseurs principalement étrangers. Leurs membres sont également victimes d’assassinats, de menaces de mort et d'intimidations.

OFRANEH collabore étroitement avec les partenaires de Développement et Paix au Honduras  notamment avec la Fundacion ERIC, une organisation qui travaille auprès du peuple garifuna à travers la Radio Progreso. Il s’agit d’une radio communautaire qui collabore avec des stations de radios de la communauté garifuna en leur fournissant un appui technique et editorial et en les encourageant à travailler en réseau avec d’autres radios communautaires du Honduras.

La Fédération des coopératives du Sud, principalement des agriculteurs afro-américains de 13 États dans le Sud des États-Unis, sont co-lauréat de ce prix, qui a été présenté à Des Moines, dans l‘Iowa, aux États-Unis, le 14 octobre dernier. Depuis son lancement en 2009, le prix sur la souveraineté alimentaire a été décerné à deux autres partenaires de Développement et Paix au Brésil : en 2009 à la Via Campesina et en 2011 au Mouvement des paysans sans terre (MST).

Pour en savoir plus sur les difficultés rencontrées par le peuple Garifuna ainsi que les combats menés au quotidien, voici des extraits d'une interview réalisée avec Miriam Miranda, coordinatrice d’OFRANEH :
Sans nos terres, nous cessons d’être un peuple. Nos terres et nos identités sont essentielles à nos vies, nos eaux, nos forêts, notre culture, notre patrimoine mondial et nos territoires. Pour nous, la lutte pour nos territoires, notre patrimoine mondial et nos ressources naturelles est d’une importance primordiale pour notre préservation en tant que peuple.

Notre peuple issu du métissage de descendants africains et de peuples autochtones est apparu il y a 200 ans sur l’île de San Vicente. Nous vivons sur la côte atlantique du Honduras. Nous, les Garífunas, nous heurtons pour l’essentiel aux mêmes difficultés que les citoyens de toute l’Amérique latine et de fait de toute la planète.

Si vous observez sur une carte les conflits qui menacent notre pays, vous verrez qu’ils reflètent exactement les endroits où le capital transnational tente d’accaparer toujours plus de ressources des peuples autochtones. Vous croyez peut-être que le président Mel Zelaya a été renversé par un coup d’État [en 2009], parce qu’il était un homme de gauche. Ce n’est pas le cas. C’était parce que [ceux qui détiennent la richesse] voulaient prendre des terres et des ressources, ce qu’ils font maintenant. Chaque jour, de plus en plus de pressions s’exercent sur nous pour saisir nos territoires, nos ressources et notre patrimoine naturel commun.

Regardez les recherches sur ce qu’on appelle des solutions de rechange au pétrole par l’exploitation minière, les mégabarrages, etc. On prend toutes ces ressources dans les zones autochtones. Au Honduras, ils prennent la terre que nous utilisions pour cultiver des haricots et du riz pour faire pousser de la palme africaine pour le biocarburant. L’intention est d’arrêter la production d’aliments dont les humains ont besoin pour pouvoir produire le carburant dont les voitures ont besoin. Plus il y a de pénurie alimentaire, plus les aliments coûteront chers. La souveraineté alimentaire est menacée partout.

Un autre de nos principaux défis est l’industrie du tourisme. Nous vivons presque sur la mer, juste sur la plage. C’est une bénédiction, mais récemment, c’est aussi devenu une malédiction, parce que bien sûr tous les puissants veulent avoir leur maison sur la plage. Le gouvernement hondurien a lancé des mégaprojets de tourisme. Le déplacement des communautés et la perte de cultures qui accompagnent le développement du tourisme [sont en augmentation].

Nous avons occupé et revendiqué des terres ancestrales qui avaient été prises par d’autres, comme Vallecito Limón. Nous utilisons aussi la législation internationale en matière de droits de la personne afin de protéger nos territoires. Nous avons déposé une réclamation contre le gouvernement devant la Cour interaméricaine des droits de l’homme à Washington au sujet de Triunfo de la Cruz [une communauté riveraine garífuna dont les terres appartenant à la communauté ont été saisies]. Nous espérons obtenir une décision en novembre ou en décembre. Cela va créer un précédent important pour tous les peuples autochtones, pas seulement pour les Garífunas. Il définira la responsabilité de l’État de protéger les territoires et les droits des peuples autochtones. Ce ne sera que le [quatrième] cas présenté au tribunal et il aidera à établir des politiques et des mécanismes pour protéger les territoires et les ressources des peuples autochtones, et de l’humanité tout entière, bien entendu.

Les merveilleuses camarades de Triunfo de la Cruz, des femmes garífunas, beaucoup d’entre elles des aînées, ont une force incroyable. Elles participent à des assemblées, à des actions, et abattent les murs construits sur la plage. Elles élèvent les jeunes garífunas afin qu’ils sachent qui ils sont, sans honte. Elles produisent le manioc, notre aliment de base.

Les femmes [de partout] défendent notre vie, notre culture et nos territoires, et s’opposent au modèle de la mort qui prend de l’ampleur chaque jour. Nous sommes au front d’une avalanche d’attaques. Partout au Honduras, comme dans toute l’Amérique latine, l’Afrique et l’Asie, les femmes sont à l’avant-garde des luttes pour nos droits, contre la discrimination raciale, pour la défense de notre patrimoine et pour notre survie. Nous sommes à l’avant-garde non seulement avec notre corps, mais aussi avec notre vigueur, nos idées, nos propositions. Nous ne nous contentons pas de mettre au monde des enfants, mais aussi des idées et des actions.

Si le problème est planétaire, il faut y apporter une réponse planétaire. Il est temps que chaque être humain dans les pays du Nord prenne ses responsabilités en ce qui concerne l’utilisation des ressources, ses responsabilités par rapport au gaspillage, aux déchets et à la consommation. Le mode de vie que vous avez tous aux États-Unis est insoutenable. Vous êtes les presseurs de boutons.

Nous [à l’autre bout] vivons crise par-dessus crise. Nous essayons de résister et de trouver toutes les solutions que nous pouvons, mais nous nous demandons : sommes-nous celles et ceux qui consomment toute cette énergie? Si les gens du Nord sont les consommateurs, pourquoi est-ce que nous, au Honduras, sommes en train de payer? Pourquoi sommes-nous en train d’être déplacés pour générer de l’énergie pour les autres? Que sommes-nous censés faire? Croiser les bras devant la destruction de la planète, ou apporter un changement pour les générations futures? Elles n’auront pas de terres, d’eau ou d’air. Ce n’est pas du pessimisme, c’est la réalité. Le temps est venu d’agir.