Un mois après la visite historique du pape François en Amazonie péruvienne, l’évêque de Puerto Maldonado, Mgr David Martinez Aguirre, d’origine espagnole, continue d’en ressentir toute l’énergie.
« Rien que de savoir que le pape François venait à Puerto Maldonado était déjà extraordinaire », souligne Monseigneur Martinez qui travaille étroitement avec CEAS (Commission épiscopale d’action sociale), un partenaire de Développement et Paix – Caritas Canada au Pérou. Cette capitale de la province de Madre de Dios au Pérou, la plus orientale du pays – une lointaine bande de forêt amazonienne, à la frontière entre la Bolivie et le Brésil – est décrite comme « la periferia de las periferias » (le bout du monde). Sa population est de 348 000 personnes, dont 29 000 Autochtones de 22 groupes différents, ainsi que des colons et des immigrants. Les Autochtones qui y vivent sont des descendants d’esclaves forcés de travailler sur les plantations de caoutchouc du 19ème siècle.
« La visite du pape a donné de la visibilité aux peuples autochtones d’ici et à cette région de l’Amazonie qui en ont bien besoin », selon Mgr Martinez. Cette visite du pape à Puerto Maldonado a été le prélude au Synode du Vatican sur la région amazonienne qui se tiendra à Rome en octobre 2019.
Aujourd’hui, ce n’est plus le caoutchouc qui asservit les peuples autochtones de l’Amazonie péruvienne, c’est plutôt l’or qui attire les prospecteurs qui s’y bousculent pour exploiter des mines artisanales. Cette ruée vers l’or entraîne des conflits violents entre les groupes qui se battent pour contrôler les gisements les plus lucratifs; des problèmes de trafic humain, avec les « prostibares », ces bars de prostitution qui attirent les jeunes filles sur les sites miniers illégaux ; et de sérieuses dégradations environnementales.
Le manque de coordination entre les différents services du gouvernement ne fait qu’empirer la situation. Des représentants de l’Église estiment que les mêmes terres sont souvent concédées deux ou même trois fois, selon différentes instances gouvernementales au niveau central ou régional, laissant les communautés dans l’incertitude perpétuelle de savoir qui viendra réclamer leur terre. Un article publié par plusieurs organisations d’Église, dont CEAS, parle de 2 821 concessions minières enregistrées en juillet 2015 dans le département. 20% d’entre elles sont sur des terres autochtones, 16% sont des concessions forestières, 70% sur des sites de combustibles fossiles et 6% sur des terres protégées pour l’écotourisme et la conservation.
Pour ajouter au chaos, il y a aussi l’exploitation minière et forestière illégale qui détruit la forêt et empoisonne la faune. La Pampa, située à 100 km à l’ouest de Puerto Maldonado, est le centre local de l’exploitation minière illégale, la forêt vierge y a été remplacée par des gisements miniers épuisés, recouverts de sable. Son centre est bordé de bars où les prostituées attendent des clients, et où la route est jonchée de détritus de plastique et de polystyrène. Pourtant les autorités environnementales ne semblent jamais trouver les responsables de ces dégradations environnementales et se contentent d’arrêter et de mettre à l’amende les Autochtones et les personnes pauvres qui tentent simplement de survivre.
La préparation du Synode sur l’Amazonie est lancée
Arazaire, une communauté de 110 Autochtones Harakmbut, située à 140 km à l’ouest de Puerto Maldonado, est un exemple de cette dynamique. Même si les Harakmbut possèdent des titres de propriété, l’État a accordé 18 concessions minières sur leurs terres. En ce moment même, trois membres de la communauté sont en prison pour avoir omis de payer des amendes pour des dommages environnementaux causés par des bûcherons illégaux.
« Comment pouvons-nous survivre si nous ne pouvons pas pêcher ou chasser ? » demande Mercedes Tije, leader de la communauté, avant d’ajouter que « souvent nous n’avons que du plantain à manger ». Il est facile de voir l’extrême pauvreté dans laquelle vivent les gens ici. Il n’y a pas d’eau potable, raison pour laquelle les enfants boivent des sodas en bouteilles; et il n’y a ni école ni service de santé.
Le pape François a parlé de la détresse de cette communauté lors de sa visite du 19 janvier dernier à Puerto Maldonado : « Les peuples d’Amazonie n’ont sans doute jamais été traités de pire façon sur leurs propres terres », a déclaré le pape François lors d’une rencontre avec des représentants de plusieurs groupes autochtones. « Les grands intérêts financiers font pression pour mettre la main sur leur pétrole, sur le gaz, les forêts, l’or et toutes formes de monocultures agro-industrielles. Leurs terres sont aussi menacées par les distorsions de certaines politiques visant la ‘conservation’ de la nature, mais sans prendre en compte les hommes et les femmes, particulièrement vous, mes frères et mes sœurs d’Amazonie, qui y habitez », a -t-il ajouté. Le pape faisait référence ici à des programmes de conservation de la nature qui font perdre aux populations autochtones l’accès à leur terre et aux ressources naturelles.
En écho aux préoccupations du pape François, Monseigneur Martinez soulignait que les méthodes de chasse pratiquées par les peuples autochtones se font à petite échelle, visent l’autosubsistance, et sont donc durables.
L’évêque espère que ces enjeux seront pris en compte lors du Synode sur l’Amazonie en octobre 2019. Un synode est une rencontre de haut niveau où les évêques se rassemblent au Vatican, à Rome, pour discuter des problèmes d’une région et identifier des solutions possibles. En mars 2018, le pape François a mandaté le Cardinal Claudio Hummes du Brésil, président du REPAM (réseau œcuménique sur la région amazonienne), pour diriger le conseil du Synode, composé de 18 personnes. Les autres membres incluent le cardinal ghanéen Peter Turkson, préfet du Dicastère pour la promotion du développement humain intégral, 13 évêques, une religieuse, et le directeur général du REPAM, Mauricio Lopez.
La forêt tropicale amazonienne s’étend sur des portions du Brésil, de l’Équateur, du Venezuela, de la Colombie, de la Bolivie, de la Guyane et de la Guyane française, et les églises de ces pays sont toutes membres du REPAM. Chaque membre participant amènera les préoccupations des églises de son pays pour les transmettre au Synode.
« Nous espérons que le Synode donnera plus de visibilité aux peuples d’Amazonie et fera comprendre au monde que celle-ci représente davantage que les poumons de la planète; c’est aussi un espace que nous devons protéger, et où nous devons, en tant qu’Église, renforcer la participation des peuples d’Amazonie », a déclaré Monseigneur Martinez.