Entretien avec Jean-Claude Jean, responsable du bureau de Développement et Paix en Haïti. Il est chargé de la supervision du programme de reconstruction et du suivi des projets.
Trois ans après le séisme, quel est le contexte en Haïti ? Peut-on considérer que l’urgence est définitivement derrière nous ?
On peut constater aujourd’hui que les choses ont évolué en Haïti et notamment à Port-au-Prince. Ne serait-ce que l’absence dans les rues des tonnes de gravats et de débris suite au séisme. Dans un sens, on peut dire que la vie a repris son cours, mais nous devons reconnaître que par rapport aux besoins et aux attentes de la population, les choses n’ont pas évolué assez rapidement. De nombreuses personnes vivent encore sous des tentes dans des conditions très précaires. L’urgence n’est donc pas complètement derrière nous dans la mesure où certaines situations méritent des actions rapides.
Quels sont les axes d’intervention de Développement et Paix en Haïti ?
Notre action vise essentiellement à appuyer les acteurs haïtiens qui œuvrent dans les domaines du renforcement de la société civile et des droits humains afin qu’ils puissent être les artisans du changement. En cette phase de reconstruction, il y a une dimension importante accordée à la justice et aux droits humains car cela constitue un changement de fond pour la démocratie haïtienne. Une autre chose qui nous parait essentielle concerne l’aspect économique. Haïti est un pays pauvre et il nous semble important d’appuyer les plus vulnérables au travers d’initiatives visant à promouvoir la souveraineté alimentaire. Par exemple, nous travaillons en partenariat avec le Mouvement Paysan Papaye, l’un de nos partenaires depuis plus de 25 ans, sur des techniques d’agriculture, des apports en semences vivrières et/ou maraîchères et la distribution d’intrants.
Ce qui est nouveau dans le travail de Développement et Paix en Haïti concerne la reconstruction « physique » d’écoles, de logements sociaux et de logements pour les victimes du séisme.
Ce projet a été conçu sur le modèle des coopératives que l’on retrouve notamment à Montréal, afin que les familles puissent gérer elles-mêmes leur environnement. Notre projet de construction le plus important est financé par l’ACDI à hauteur de 4 millions de dollars. L’idée est de construire des maisons permanentes dans la région de Gressier (commune voisine de Léogane, épicentre du séisme) et notamment dans les endroits où les familles vivaient avant le séisme afin de ne pas les déraciner dans des villages artificiels. Nous allons également innover en introduisant une nouvelle technologie qui permet la construction rapide et à bas coût de maisons sécuritaires.
Quelle est la place donnée aux populations dans la mise en œuvre des projets ?
Les projets sont conçus par les organisations locales représentant directement les populations. Par exemple, le projet de construction de maisons a été conçu par notre partenaire ITECA après avoir préalablement mené une enquête auprès de 1700 familles touchées par le séisme. Développement et Paix va donc appuyer la construction des maisons, mais la population participe pleinement à chacune des étapes du projet. D’ailleurs, les gens ne veulent pas être appelés des bénéficiaires, mais des partenaires de ce projet !
Quels sont les défis à relever ?
On constate que de nombreuses organisations internationales arrivées avec des sommes importantes sont déjà reparties. Elles étaient surtout présentes durant la phase d’urgence, mais il faut bien souligner le fait que la phase de reconstruction est tout aussi importante. L’autre défi concerne l’État haïtien. Déjà faible avant le séisme, il l’a été d’autant plus après. Les ONG et les organisations internationales ne pourront appuyer le développement d’Haïti sans qu’une responsabilisation de l’État haïtien ne se fasse. Il est encore trop souvent contourné notamment à cause de la perception mais aussi de la réalité de la corruption. L’État fait quand même des choses et il a surtout besoin d’être encouragé et appuyé dans ses démarches. La succession de catastrophes naturelles, les délais importants, la faiblesse de l’État, sont autant de freins à l’action. Les acteurs qui veulent bien faire n’ont pas tout le temps les moyens de leurs ambitions ce qui pousse parfois certaines personnes à se décourager.
Face à de nouvelles catastrophes humanitaires (comme l’Ouragan Sandy par exemple), de quelle manière les projets de Développement et Paix s’adaptent-ils ?
La prise en compte du risque est présente de manière permanente dans la mise en œuvre de nos projets. Ainsi, le projet de construction de maisons porte une attention particulière à la question de la sécurité des logements. Nous appliquons les codes de construction du Canada et notamment ses règles parasismiques car il n’existait pas de normes publiques imposées par le gouvernement haïtien.
Enfin, à titre de responsable du bureau en Haïti, quelle est votre plus grande fierté ?
L’élément qui me touche le plus c’est d’être témoin de la volonté de vivre de la population. Malgré le traumatisme qu’a constitué le séisme, la population continue de lutter et de chercher de l’aide pour s’en sortir. Être témoin de cette réalité est un moment d’espérance. On a tendance à dire qu’il n’y a pas d’espoir en Haïti, que le monde est découragé, mais lorsque je vois cette volonté farouche de s’en sortir, alors je me dis que l’espoir est permis !