Voilà, c'est la fin du voyage. Nous avons encore sur nos souliers la poussière de l'Éthiopie, et un peu de celle de Djibouti, dernière escale avant notre retour.
Djibouti, petit pays de 860 000 habitants, a aussi été affecté par la dernière sécheresse, même si ce pays rude et aride, où l'agriculture ne représente que 3% du PIB, est habitué de vivre des conditions extrêmes de sécheresse et de chaleur. Si nous allions à Djibouti, c'est d'abord et avant tout pour y rencontrer Mgr Giorgio Bertin, évêque de Djibouti et administrateur apostolique de Mogadiscio. Il est président de Caritas Djibouti et Somalie. Même si la capacité d'agir de la Caritas en Somalie est très limitée, il était important pour nous d'aller quand même témoigner notre solidarité à Mgr Bertin, ce grand expert des peuples et de la culture somalis. L’évêque a d'ailleurs traduit le Nouveau Testament dans cette langue, et continue à traduire d'autres textes de la Bible.
Mgr Bertin ne se fait pas d'illusions sur l'avenir de la Somalie. Il a déjà vu passer plus d'une quinzaine d'accords de paix qui n'ont en rien réglé le problème, chaque partie se contentant de protéger ses intérêts immédiats, au détriment des populations. Il comprend la nécessité de l'aide humanitaire, même si elle ne peut être livrée qu'à grands risques, mais il appelle surtout une solution politique à ce conflit. Il invite tous les acteurs impliqués, et il interpelle aussi particulièrement la diaspora, à se mettre à la tâche pour pouvoir enfin commencer à penser à l'avenir.
J'ai été très impressionnée par le travail que fait la Caritas locale à Djibouti, malgré une modeste équipe et des moyens limités. Ce qui m'a particulièrement touchée, c'est le travail auprès des enfants déscolarisés, ces enfants souvent sans papiers, enfants de la rue, enfants des migrants économiques ou réfugiés de la sécheresse ou des conflits de la Somalie voisine. On a pu y rencontrer quelques classes d'enfants de tous âges, provenant des différents pays voisins, en train d'apprendre à parler le français, langue principale à Djibouti, à lire, à écrire, à compter – le programme s'appelle d'ailleurs LEC (lire, écrire et compter). C'est un programme sur trois ans, qui permet à ces jeunes qui n'avaient pas eu accès au système scolaire d'avoir quelques bases d'éducation et d'être un peu mieux équipés pour affronter la vie difficile qui les attend.
Encore ici, ce sont des religieuses indiennes qui dirigent ce programme. On y a même rencontré une autre sœur Céline - de même nom que celle rencontrée au centre de santé d'Hawassa. Décidément, l'Inde semble produire en abondance ces femmes courageuses, enjouées et dévouées.
La Caritas mène aussi un programme d'accueil pour les enfants de la rue. Ils peuvent y trouver quelques moments de répit et de réconfort: un repas, un endroit pour se laver, un peu de détente grâce à des films, des jeux, des activités artistiques. Cette fois, c'est une religieuse kenyane, sœur Redenta, la directrice de Caritas Djibouti, qui dirige ce programme. Ce n'est pas si souvent qu'on retrouve des femmes à la tête des Caritas, nous la saluons!
Des leçons
Ce voyage n'a duré que deux semaines et pourtant, Guy, Kelly et moi avons l'impression d'être partis depuis très longtemps, tellement ces deux semaines ont été intenses. Nous avons parcouru l'Éthiopie au nord, au sud, à l'est, dans des régions déjà naturellement arides et frappées par la sécheresse en tout temps, mais encore plus gravement cette année. L'image qu'on a de la sécheresse, celle des grands champs complètement désertiques, où les rivières sont asséchées, où toute végétation est absente et où le bétail a péri, c’est en partie la réalité. Mais il y a aussi ce qu’on appelle ici la sécheresse verte.
Quand nous sommes allés au sud du pays, vers Hosanna, c’était de plus en plus vert, des arbres, des champs cultivés. On était en pleine saison des récoltes, du tef particulièrement, une céréale typique d’ici qui sert à préparer l’injara, le pain traditionnel éthiopien. Dans les champs, on voyait de grosses bottes de tef, comme les bottes de foin de chez nous… avant qu’elles ne soient emballées dans une pellicule plastique. On y transporte la récolte sur les charrettes asines (tirées par des ânes) ou directement sur le dos des ânes – dont on ne voit plus alors qu’un bout de pattes!
Toutefois, malgré cette apparence d’abondance, on est quand même dans une région où l'insécurité alimentaire est très présente. Ces récoltes ne permettront que quelques mois de répit si la pluie n'est pas suffisamment au rendez-vous pour la prochaine saison.
La visite au diocèse d’Harar, dernière étape de nos visites de terrain en Éthiopie, a confirmé ce que nous avons vu et entendu depuis notre arrivée dans ce pays. Il n’y a pas de frontière très claire ici entre l’urgence et la vie ordinaire. Les conditions de vie dans les zones que nous avons visitées sont toujours difficiles. Dans les moments de crise, elles deviennent critiques et il faut ajouter, au lent travail de conservation de l'eau et de régénération des sols, des activités plus immédiates d'aide directe aux populations afin de traverser ces périodes de crise aigue, où les populations les plus vulnérables sont à risques.
Le message est clair, l'aide humanitaire ne suffit pas. Elle est nécessaire, elle est souhaitée, mais elle doit s'inscrire dans le travail à plus long terme de développement. La dernière sécheresse a suscité beaucoup de solidarité partout dans le monde, et des fonds importants convergent vers la corne de l'Afrique. Ce que nos interlocuteurs de la Caritas souhaitent, c'est que cette solidarité ne soit pas qu'un feu de paille, mais qu'elle s'inscrive davantage dans la durée et qu'elle soit à l'écoute des besoins locaux. C'est ce à quoi nous nous sommes engagés au nom de Développement et Paix. Notre voyage est terminé. Mais c’est maintenant que commence notre engagement.