Récemment, le monde a souligné l’anniversaire de trois des pires catastrophes naturelles de l’histoire moderne : le tsunami dans l’océan Indien (2004), le tremblement de terre en Haïti (2010) et le typhon aux Philippines (2013).
Pour chacune de ces crises, Développement et Paix a lancé un appel d’urgence auprès du public canadien afin de bien répondre aux besoins des populations locales. L’organisation a porté une attention particulière aux personnes les plus pauvres et les plus vulnérables, car en plus de subir les pires conséquences de tels désastres, ces groupes courent un risque accru d’être marginalisés pendant la reconstruction. Ainsi, il faut prévoir un effort à long terme pour mettre en place un programme qui respecte la dignité des personnes survivantes, tout en tenant compte de l’ensemble du contexte d’intervention.
Pour les organisations locales, l’après-désastre peut représenter un défi considérable. Non seulement doivent-elles modifier leurs programmes pour porter assistance aux collectivités qu’elles desservent, mais leurs employés sont également aux prises avec les effets de la catastrophe dans leur propre vie. L’arrivée massive d’agences étrangères et de financement extérieur peut également contribuer à marginaliser le savoir et l’expertise de ces groupes locaux.
En réaction à ces défis, et afin d’offrir le meilleur soutien possible à ses partenaires, Développement et Paix a récemment invité Claudette Weirleigh, cofondatrice de l’Institut de technologie et d’animation communautaire (ITECA) et ancienne première ministre d’Haïti, et Yuli Kusworo, architecte et coordonnateur de l’équipe d’Urban Poor Linkage (UPLINK) à Aceh, en Indonésie, à partager leurs expériences dans le cadre d’une conférence tenue à Tacloban, aux Philippines. Cet événement, qui a réuni des partenaires de Développement et Paix, des représentants du gouvernement et d’autres organisations locales, a permis aux participants de tirer profit des leçons du passé pour guider leurs interventions futures.
Voici quelques-unes des leçons partagées avec les participants :
1. Quelles sont les principales leçons dont on peut s’inspirer pour les efforts de rétablissement aux Philippines?
Claudette :
D’abord, il faut être patient. Dans les régions rurales défavorisées, la reconstruction prend du temps. Quelques jours après le tremblement de terre, les gens ont commencé à ramasser les débris des maisons détruites pour construire des abris temporaires pour leur famille. Par conséquent, il n’était plus du tout pertinent d’importer des logements de transition — cela constituait en fait un gaspillage d’argent.
Nous n’avons pas pu empêcher les organisations internationales d’offrir des logements de transition dans la localité où nous travaillons. Mais ce type de construction a fragilisé l’ordre social de la région, car des jeunes ont commencé à vivre seuls, ce qui ne fait pas partie de notre culture. Cinq ans plus tard, de nombreuses personnes attendent toujours les maisons permanentes qu’on leur a promises. Mais les organisations internationales qui ont fait ces promesses sont aujourd’hui bien loin.
L’approche préconisée par l’ITECA a permis à la population locale de participer activement à la reconstruction des demeures. La construction de maisons permanentes a également créé de nouveaux emplois dans la communauté. Cependant, la plus grande réussite fut de voir les gens d’une même communauté unir leurs efforts pour s’entraider.
Yuli :
À Aceh, c’est en adoptant une approche de reconstruction axée sur la communauté que nous avons réussi à mettre les gens en réseaux. De même, nous avons pu observer la différence entre une approche descendante, où les personnes sont vues comme des victimes, et une approche ascendante, où on traite les individus comme des survivants. La qualité des résultats obtenus par l’approche populaire prouve qu’il peut s’agir d’une solution de rechange pour stimuler la reprise après une catastrophe.
La reconstruction après un désastre ne se limite pas aux installations physiques; elle touche également la communauté et les relations entre les individus. Il est primordial de compter sur la résilience et la sagesse des personnes. Si on leur fournit un peu d’aide, même les personnes les plus traumatisées peuvent immédiatement se mettre à travailler ensemble pour améliorer leur vie. Grâce à la reconstruction participative, une communauté peut produire un grand nombre de maisons de qualité bien construites à l’intérieur d’un délai raisonnable.
Pour sa part, le gouvernement doit jouer un rôle de coordination, mais il ne devrait pas tenter d’agir à la fois comme agence de coordination et de mise en œuvre.
2. Quels problèmes et difficultés vos pays respectifs ont-ils rencontrés par rapport aux efforts de reconstruction? Comment avez-vous réagi à ces problèmes et difficultés? Comment les avez-vous gérés?
Claudette :
Parmi les grandes difficultés, il y avait les « expatriés » (étrangers) qui croyaient tout savoir ou qui étaient convaincus de mieux connaître la situation que nous; en réalité, ils n’arrivaient pas à saisir la réalité de notre pays. Plusieurs intervenants ne possédaient pas le degré d’expertise requis, même dans des domaines techniques comme l’architecture ou le génie.
Quelques grandes organisations internationales ont réalisé des profits grâce à l’aide humanitaire, tandis que certains membres de leur personnel poursuivaient leurs propres intérêts. Dès le début, la communauté internationale et certaines grandes organisations internationales ont choisi de contourner le gouvernement d’Haïti et les structures de l’État. Nous avons dû nous battre avec certaines agences pour avoir le droit de construire des maisons permanentes plutôt que des logements de transition. Il a fallu des mois de pourparlers pour obtenir la permission de construire de plus grandes maisons. Aujourd’hui, nous sommes heureux d’avoir pu bâtir des demeures qui correspondent aux valeurs de dignité humaine que nous défendons.
Certains des problèmes rencontrés étaient d’ordre logistique : les personnes les plus pauvres d’Haïti vivent dans les montagnes, où les routes sont inexistantes. Nous avons demandé et reçu l’aide du ministère des Transports. De plus, la population locale a transporté (souvent à pied) une partie du matériel requis pour la construction.
Le manque de leadership de l’État a également constitué un obstacle important. Pour y remédier, nous avons inclus une figure d’autorité dans le comité directeur du projet. En parallèle, la population locale a dû continuer à exercer de la pression sur l’État pour qu’il fasse preuve de leadership.
Yuli :
L’approche descendante du gouvernement central représentait un problème important. Notamment, le gouvernement d’Indonésie a développé une « politique de relocalisation » pour les communautés affectées, mais cette politique n’était pas réaliste, car la plus grande partie du territoire indonésien est située dans des régions sujettes aux catastrophes naturelles (c.-à-d. des éruptions de volcans, des tremblements de terre et des tsunamis). Le gouvernement n’était pas disposé à apprendre des collectivités, et encore moins de la sagesse locale des communautés en matière d’adaptation aux désastres. Le défi consiste donc à encourager les gouvernements nationaux, les autorités locales, le secteur privé et les universités à adopter des approches fondées sur la communauté.
3. Quelles sont/ont été les pratiques exemplaires adoptées par les communautés, les organisations de la société civile et le gouvernement?
Claudette :
La population locale résidant à proximité de l’ITECA a fait preuve de sollicitude et de solidarité. Durant la phase d’urgence, ces personnes nous ont aidés à distribuer des tentes et des trousses d’urgence. Elles ont également aidé l’ITECA à recenser les personnes les plus vulnérables.
La communauté locale a aussi participé à la construction de nouvelles routes. Enfin, les membres d’un groupe de solidarité ont travaillé collectivement pour bâtir leurs maisons respectives.
Yuli :
À mon avis, la meilleure pratique est l’établissement de partenariats solides entre la communauté, les organisations de la société civile et le gouvernement; il est important de bien préciser les rôles de chacun, pour qu’ils puissent travailler ensemble et s’appuyer mutuellement, plutôt que de dédoubler leurs efforts. À Aceh, j’ai le sentiment que nous avons utilisé des pratiques exemplaires, car nous avons commencé à intervenir avant même que le gouvernement n’ait élaboré son plan de relance. Par conséquent, il me semble qu’ici, à Tacloban, il y a une belle occasion de lancer le processus de reconstruction en orientant l’approche vers la collectivité. Je crois que la communauté possède un grand potentiel et peut agir comme modèle pour les autres organisations internationales. Je crois également que Développement et Paix est un partenaire formidable à cet égard, car, comme nous l’avons constaté à Aceh, l’organisation a appuyé sans réserve notre utilisation d’un modèle axé sur la communauté.