Voici une entrevue avec le père Nawras Sammour SJ, directeur du Jesuit Refugee Service (JRS) Syrie. JRS est un de nos partenaires privilégiés dans la région. Ils font un travail remarquable pour venir en aide aux réfugiés et déplacés syriens en Turquie, Jordanie, Liban, Irak et Syrie. À son passage à nos bureaux l’an passé, il a témoigné sur la souffrance des Syriens. Dans cette entrevue il explique pourquoi les Syriens continuent à fuir leur pays, pourquoi ils ont besoin de moyens légaux et sécurisés pour demander l'asile en Europe, mais avant tout pourquoi ils ont désespérément besoin de la paix pour pouvoir reconstruire leur vie et leur pays.
À l'heure actuelle, à quoi ressemble le quotidien des gens en Syrie?
En dehors des zones assiégées, c'est la capitale Alep qui souffre le plus à cause du manque de tout. Il est quasiment impossible de se procurer quoi que ce soit. La majorité des familles dépend de l'aide apportée par différentes organisations. Tout le monde souffre de malnutrition.
L'eau potable manque. Les gens doivent l'acheter au prix de trois livres syriennes pour un litre d'eau. Une famille de quatre personnes consomme au moins 1.000 litres par semaine, ce qui signifie qu'elle doit débourser 12.000 livres syriennes par mois (64 dollars) pour l'eau potable. Plus 8.000 livres (42 dollars) pour un générateur. Tout ceci vient en plus des dépenses pour la vie de tous les jours.
Les gens vivent en permanence dans la peur des attaques de mortiers. Les mortiers peuvent toucher n'importe quel endroit, ce qui explique pourquoi les gens ont peur d'envoyer leurs enfants à l'école et pourquoi les gens restent chez eux. Suite au pilonnage du quartier chrétien d'Alep, les gens se sont réfugiés dans des abris. Ils ont tout perdu et ils doivent payer entre 20.000 et 30.000 livres syriennes pour la location d'une ou deux pièces (entre 106 et 159 dollars), ce qui représente le salaire moyen d'un enseignant.
Les gens ont tout vendu pour survivre : bagues, bijoux, accessoires, voitures. Ceux qui avaient des économies sont à court d'argent. Les personnes ne peuvent plus assurer le quotidien et sont donc forcées de déménager. Certaines familles ont décidé d'attendre la fin de l'année scolaire, de même pour les étudiants d'université, mais nombreux sont ceux qui ont choisi de partir.
Homs est la ville la plus «calme» pour les déplacés qui veulent rentrer. Nombreux sont ceux qui ayant tout perdu ne peuvent pas reconstruire leur maison par manque d'argent, et donc ne rentrent pas.
La circulation est difficile autour de la ville. Pendant la journée, les enfants peuvent aller à l'école, même si les écoles sont bondées et si la plupart des écoles des grandes villes ont été endommagées par les tirs de mortier. La nuit, par contre, il vaut mieux ne pas sortir ; l'insécurité règne et on peut être enlevé.
Les denrées alimentaires sont hors de prix. Un enseignant gagne autour de 35.000 livres syriennes par mois. Un kilo de viande coutant de 2.500 à 3.000 livres syriennes (16 à 18 dollars). Avec un salaire, on peut acheter 13 kilos de viande. Les gens ne peuvent manger de la viande qu'une ou deux fois par mois.
À Damas, chaque jour nous avons au moins 16 heures sans électricité.
Ici aussi la vie est très chère. Les prix des denrées alimentaires sont aussi chers que dans les autres villes de Syrie, nous avons de l'eau potable tous les deux ou trois jours, ça nous permet de survivre.
Les écoles et les universités qui ne sont pas endommagées continuent à fonctionner. Mais il y a deux semaines, dix étudiants ont été tués par des tirs de mortier dans la Faculté d'Ingénierie de l'Université de Damas.
Les combats se déroulent non loin du centre de Damas. L'autoroute vers Homs est coupée, pour y aller les gens doivent faire un détour.
Qu'en est-il des déplacements de population?
Les gens se rendent régulièrement à Damas et dans les régions côtières pour survivre. La majorité fuit les zones tenues par le groupe se faisant appeler État islamique (EI), car on ne peut y vivre si on n'accepte pas l'idéologie. Quasiment personne ne peut vivre dans leur entourage. D'autre part, ces zones sont fréquemment bombardées ce qui engendre l'insécurité.
Quel espoir pour l'avenir?
Nous vivons une période d'incertitude. Mais une chose est sure: les Syriens à eux seuls ne pourront pas résoudre ce problème. La paix doit se faire au niveau régional et au niveau international. Aucun citoyen syrien ne peut résoudre la situation actuelle. Les gens sont épuisés. Le conflit dépasse les capacités de résolution de la Syrie.
Qui devrait participer aux négociations?
Tout le monde doit pouvoir participer. Nous ne pouvons exclure personne, sauf ceux qui excluent les autres.
L'Eglise peut-elle jouer un rôle prophétique?
Je pense que le caractère prophétique se trouve dans les petits gestes et les petites initiatives. Les gens de bonne volonté font beaucoup de choses. De nombreuses communautés et organisations, autres que le JRS, fournissent aux plus vulnérables les denrées de base et la nourriture. Les jeunes religieux et les laïcs sont engagés au service des autres. Depuis le début de la guerre, nous avons assisté à la naissance de petits groupes et d'initiatives. Aujourd'hui, la difficulté de la situation fait qu'ils sont moins nombreux, mais il y en a toujours.
Quelle est votre vision pour la Syrie?
La Syrie ne sera plus jamais la même. Une nouvelle Syrie est en train de naitre. Faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour que la Syrie se renouvèle, en s'appuyant sur son histoire propre, et qu'elle soit accueillante à tous comme elle a toujours été. J'espère que la nouvelle Syrie se révèlera dans sa beauté comme un pont entre l'Orient et l'Occident, multiculturelle et multireligieuse, comme elle l'était avant la guerre.
Tel est mon espoir. Dans cette vision globalisante, il n'y a pas de place pour ceux qui excluent les autres.
Entrevue par Amaya Valcarcel, Responsable du plaidoyer, Bureau international du JRS.