Le Réseau pour une alimentation durable tiendra son assemblée nationale du 13 au 16 novembre à Halifax. Développement et Paix coparraine l’événement qui touchera un grand nombre des enjeux de la campagne actuelle de Développement et Paix, Parce qu’on sème, y compris la menace envers les petits agriculteurs familiaux de perdre l’accès à leurs semences. Vandana Shiva, activiste environnementale et défenseur des semences de renommée mondiale, prononcera la conférence d’ouverture. Dans le cadre de cet événement, Mme Shiva a accordé une entrevue à Développement et Paix sur la lutte contre la privatisation des semences et qui sera bientôt disponible sur notre site web.
Un des plus importants facteurs limitant l’accès aux semences est le traité international de l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV) de 1991 qui élargit le contrôle des semences par les entreprises privées. Ici au Canada, ce traité pourrait être appliqué à travers le projet de loi C-18, qui est actuellement à l’étude au Parlement. Dans cette entrevue, Diana Bronson, la directrice générale du Réseau pour une alimentation durable, explique l’impact considérable de l’UPOV de 1991 et du projet de loi C-18 sur la nourriture et l’agriculture au Canada ainsi que partout dans le monde.
Comment le projet de loi C-18 (ou l’application de l’UPOV91) aura-t-il un impact sur la nourriture que nous mangeons?
Au lieu de percevoir des redevances aux points de vente des semences, le titulaire des droits (l’entreprise) peut, en vertu de l’UPOV 91, avoir accès à des redevances à de multiples reprises, depuis l’achat des semences à la récolte et au-delà. Cela entraînera presque certainement des coûts plus élevés pour l’agriculteur et des profits plus élevés pour les titulaires des droits. Ces coûts se répercuteront sur le public canadien dans les prix élevés des denrées alimentaires, et par la disparition des agriculteurs qui sont incapables d’absorber cette hausse des prix dans leurs opérations. Nous subirons sans aucun doute une nouvelle perte de la biodiversité, car le marché des semences sera dominé par celles qui sont les plus rentables pour les titulaires de droits, et non par celles qui servent le mieux les intérêts à long terme de la population canadienne (agriculteurs, consommateurs, l’environnement). Cela mettra en péril la diversité, et, ultimement, notre résilience en ce qui concerne l’adaptation aux changements climatiques — une préoccupation majeure non seulement dans les pays du Sud, mais chez nous aussi.
Comment le projet de loi C-18 menace-t-il la souveraineté alimentaire?
Le projet de loi C-18 et le passage à l’UPOV91, de concert avec une série d’accords commerciaux internationaux et la réglementation nationale qui s’y rattache, porte atteinte à la souveraineté du Canada, pas seulement la souveraineté alimentaire. Il accorde des droits et des privilèges spéciaux aux entreprises et à leur prétendu droit d’engranger des profits, et retire leur droit de choisir à des personnes, des communautés et divers paliers de gouvernement dans toutes les régions du Canada. Comme cela a souvent été dit, « qui contrôle les semences contrôle le peuple ». Le changement dans la législation des semences au Canada limite également l’accès des agriculteurs à la diversité des semences et a des répercussions sur les coûts des semences qui restent.
Depuis des millénaires, les agriculteurs conservent et échangent des semences, une pratique qui est à l’origine de la biodiversité agricole sur laquelle le Canada, et la planète, comptent pour se nourrir. En vertu de l’UPOV91 et de la présente loi, cette pratique est reléguée à une clause de « privilège de l’agriculteur » que le gouvernement au pouvoir peut abroger sans mécanisme public régulier, et est limitée par la pratique et l’orientation de l’UPOV. De plus, selon l’organisation GRAIN, « le traité de 1978 (précurseur de l’UPOV91) couvre des variétés végétales d’espèces ou de genres définis au niveau national, alors que celui de 1991 couvre les variétés de plantes de tous les genres et de toutes les espèces » (http://www.grain.org/article/entries/2183-norway-says-no-to-upov-1991). À l’heure actuelle, 53 % du marché des semences commerciales du monde sont contrôlés par trois sociétés. Ce projet de loi ne peut qu’aggraver le problème.
Quel type de système alimentaire le projet de loi C-18 encourage-t-il?
Le projet de loi C-18 contribuera à renforcer davantage le modèle de l’agriculture industrielle dominé par quelques grands acteurs et où les petits et moyens producteurs peinent à survivre. Le projet de loi C-18 favorise davantage le contrôle des semences par la poignée d’acteurs mondiaux du domaine des semences qui ignorent les considérations et les priorités des agriculteurs et des consommateurs canadiens sur le plan nutritionnel, culturel, social ou environnemental. Il aura des répercussions dans tous les secteurs de l’agriculture et du système alimentaire, car les semences forment la base non seulement des cultures qui sont consommées directement, mais aussi de celles qui nourrissent le bétail dont dérivent une multitude d’autres stocks alimentaires. La crise actuelle liée à la disparition des abeilles due à la surutilisation des néonicoitinoïdes est presque certainement liée au fait, par exemple, que la grande majorité des semences de maïs disponibles sur le marché est déjà traitée aux néonicotinoïdes, sans égard à la volonté des agriculteurs de participer à une telle application systémique de pesticides.
De nombreux pays de l’hémisphère Sud sont encouragés à signer l’UPOV91. Comment cela transformera-t-il l’agriculture dans ces pays?
En 1999, tous les pays signataires du traité n’avaient d’autre choix que d’adhérer à l’UPOV91 — les versions précédentes n’étant plus disponibles pour application. Les conséquences sur la capacité de subsistance des petits agriculteurs familiaux pourraient être dévastatrices, comme l’a expliqué le Groupe ETC lorsque les pays d’Afrique occidentale et centrale ont fait l’objet de pressions pour adopter le traité UPOV91 : « La plupart des membres de l’UPOV, en fait, adhèrent à son traité de 1978, largement interprété par les gouvernements comme permettant aux agriculteurs de conserver et d’échanger des semences. Le traité de l’UPOV de 1991, cependant, tient pour acquis que les agriculteurs ne peuvent pas conserver les semences à moins que les gouvernements n’autorisent des exceptions précises. Partout dans le monde, 1,4 milliard de personnes dépendent de la capacité des petits agriculteurs de conserver des semences pour la sécurité alimentaire de leur famille. »